Éditorial : L’espérance en action – carnet de recherche en histoire moderne

Par Sabrina Rospert, Albert Schirrmeister et Christine Zabel

Traduction de : Team Hoffnung handeln (15 novembre 2021). Editorial: Hoffnung handeln. Ein Frühneuzeitblog. Hoffnung handeln – L’espérance en action. Consulté le 7 septembre 2024, https://doi.org/10.58079/por2

S’intéresser à l’espoir en cette fin d’année 2021, peut-être pour oser, préserver ou inspirer l’espoir, semble évident. Nous avons tous et toutes besoin d’un peu d’espoir en ces temps de pandémie et de crise climatique, car bon nombre d’entre nous craignent un avenir incertain, avec moins d’argent, moins d’emplois, moins bien payés, moins de perspectives positives et visionnaires, mais plus de crises économiques et écologiques. Les assurances parlent même de « temps inassurables » qui nous menacent ou dans lesquels nous pourrions déjà être arrivés. De nombreuses commissions d’experts le confirment : il pourrait y avoir à l’avenir encore plus d’inondations millénaires, plus d’hivers froids ou d’étés records. C’est pourquoi nous avons certes besoin d’espoir, bien sûr, mais cela ne nous dit pas pourquoi nous devrions précisément nous occuper des espoirs de l’époque moderne, c’est-à-dire du passé ?

Une réponse simple à cette question est la suivante : nous sommes curieux d’aborder un thème que nous rencontrons régulièrement dans nos recherches sur l’époque moderne, et plus précisément sur le début de l’époque moderne, entre 1500 et 1800 environ. Cette période a été marquée par de nombreux bouleversements et révolutions épistémologiques, technico-scientifiques et théologiques, par des guerres, des crises alimentaires et environnementales, ce qui n’est pas sans rappeler notre propre présent. Ce n’est certainement pas une caractéristique unique de cette époque, pas plus que la volonté d’espérer, parfois courageuse et révoltée ou encore fuyant la réalité. Néanmoins, nous nous intéressons précisément à la gestion de l’espoir à cette époque, souvent considérée par les chercheurs et chercheuses comme une époque au cours de laquelle la perception du temps semble accélérée, et où les femmes et les hommes cherchaient de plus en plus l’espoir à l’intérieur du monde, tandis que les espoirs eschatologiques passaient plus au second plan. De quoi se nourrissaient donc les espoirs de l’époque moderne : du savoir et de l’expérience, de la confiance dans le fait que quelque chose reviendrait ou que quelque chose de nouveau, jusqu’alors inexpérimenté et inexpérimentable, arriverait dans le monde ? L’espoir était-il prévisible ou calculable ? Qui étaient les porteurs et les porteuses de cet espoir ? Comment l’espoir pouvait-il être vécu ou intégré dans la vie quotidienne ?

Le regard sur les « espoirs » permet d’interpréter des comportements concrets dans leur temporalité, car l’espoir est toujours lié au temps. L’espoir est en même temps un phénomène instable, difficile à cerner. On le trouve, ou du moins on le cherche, dans presque tous les domaines : dans les domaines économiques, religieux, politiques de la vie collective, ainsi que dans les carrières et les parcours individuels. Ces domaines d’espoir sont parfois étroitement liés les uns aux autres, mais parfois leur seul point commun réside dans le fait qu’une action donnée peut être analysée en tant qu’espoir. Celui ou celle qui espère se situe dans le monde, ou autrement dit : chaque acte d’espérance situe l’espérant et l’espéré socialement, avec ses dépendances et ses libertés.

Nous partons du principe que l’action d’espérer en Europe au début de l’époque moderne est différente de celle du XXIe siècle et se situe également en contraste avec celle d’autres cultures. Mais cela ne signifie pas que les formes concrètes de l’espoir n’étaient pas plurielles : ainsi, à l’époque baroque, l’espoir était parfois associé de manière allégorique à l’amour et à la beauté, comme dans le tableau de Simon Vouet (vers 1643) : le temps s’oppose à l’espoir, mais il est vaincu par lui. En revanche, nous pouvons aussi comprendre l’Utopia de Thomas More (1516) comme une tentative de situer l’espoir dans un non-lieu (u-topos). Mais les réponses particulières de chaque culture sont autant de réponses à des questions posées toujours de manière différente et pourtant au fond similaire : faire l’expérience de la souffrance du monde et espérer malgré tout – comment est-ce possible, où trouver l’espoir et vers quoi l’orienter ?

Avec ce blog, nous renouons avec nos propres recherches sur l’époque moderne, mais aussi avec les discussions collégiales que nous avons eues et que nous continuons à avoir entre nous et avec d’autres, notamment à l’Institut historique allemand (IHA), à Paris. Le blog nous offre en même temps la possibilité de partager et d’élargir nos réflexions et nos idées sur le thème de l’« espoir » et de les relier à l’intérêt actuellement très répandu dans la recherche pour les temporalités.

Sur ce blog, nous aimerions rassembler des observations et des questions sur l’acte d’espérer à l’époque moderne et nous aimerions rassembler des commentaires, du matériel et des remarques afin d’explorer ce champ de recherche. Ici, nous souhaitons proposer des discussions ouvertes à partir de nos perspectives, qui sont influencées par notre lieu commun, l’IHA, et par les rencontres que nous y faisons. Nous rassemblerons donc surtout des contributions allemandes et françaises (et parfois aussi anglophones) et sommes impatients de découvrir vos réactions.

Christine Zabel, Albert Schirrmeister et Sabrina Rospert.

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