Capitalisme, violence, paix – Trois nouvelles séries pour 2022

Par Sabrina Rospert, Albert Schirrmeister et Christine Zabel

Traduction de : Team Hoffnung handeln (15 février 2022). Kapitalismus, Gewalt, Frieden – Drei neue Serien für 2022. Hoffnung handeln – L’espérance en action. consulté le 7 septembre 2024, https://doi.org/10.58079/porx

À la fin de l’année 2021, nous avons commencé notre blog « Hoffnung handeln – L’espérance en action » par un calendrier de l’Avent, dans lequel de nombreux auteurs et autrices invités d’Allemagne et de France ont apporté des contributions sur différents aspects de l’espérance à l’époque moderne. Nous avons remarqué trois thèmes récurrents, que nous souhaitons à présent approfondir dans les douze mois à venir dans le cadre de séries thématiques, en nous appuyant également sur nos propres intérêts de recherche. Nous souhaitons aujourd’hui vous présenter brièvement ces trois séries :

Espoirs économiques et espoirs du capitalisme aux débuts de la modernité

Aujourd’hui, à une époque profondément marquée par les structures fondamentales du capitalisme, du moins dans le monde occidental, il nous semble relativement facile de définir un certain espoir économique. Le mouvement des transactions économiques, et donc l’objectif et l’espoir des acteurs et actrices concernés, se résume souvent à notre hypothèse de base du commerce économique humain, à savoir la recherche de la maximisation du profit. Aujourd’hui, nous sommes souvent loin de penser qu’au-delà de cette forme d’espoir individuel, des espoirs sociaux, collectifs et orientés vers le bien commun étaient autrefois liés aux idées du capitalisme primitif. Poussé par sa déception vis-à-vis du capitalisme (occidental), l’économiste Albert O. Hirschman, enseignant à Harvard, s’est penché depuis les années 1970 sur les espoirs de l’époque moderne en rapport avec le capitalisme naissant¹. Face aux conséquences sociales du capitalisme qu’il déplorait, Hirschman s’est intéressé aux espoirs que les contemporains des XVII^e et XVIII^e siècles associaient autrefois à la nouvelle primauté de l’économie et à l’ordre économique qui en résultait. L’économiste s’est notamment penché sur l’espoir des Lumières dans la puissance pacificatrice d’un commerce agissant à l’échelle mondiale (thèse du doux commerce), comme l’avaient fait Montesquieu et Emmanuel Kant. Cette première série suit la lutte d’Albert Hirschman contre les structures capitalistes traditionnelles de notre monde, en éclairant les premiers espoirs économiques individuels modernes et leurs éventuelles limites, mais aussi les espoirs collectifs d’un système primitif ou proto-capitaliste.

Espoir et violence

Ce n’est qu’au cours des dernières années que la recherche historique s’est intéressée de manière spécifique au phénomène de la violence, l’historiographie semblant s’accorder sur le fait que la violence ne peut être interprétée que dans un contexte historique donné. La recherche sur l’époque moderne aborde le phénomène surtout sous l’angle de la guerre ou de la criminalité. En outre, la violence est souvent traitée en relation avec d’autres concepts analytiques tels que l’honneur, le sexe, la politique ou encore la religion. Cependant, il n’existe pas encore de travaux traitant de la relation réciproque entre la violence d’une part et l’espoir d’autre part. Cela s’explique probablement par le fait que l’« espoir », un terme à connotation plutôt positive dans notre société actuelle, et la « violence », un mot à connotation négative, semblent à première vue avoir peu en commun.

Dans notre deuxième série de billets, intitulée « Espoir et violence », nous voulons tenter d’effectuer un premier travail de réflexion dans ce domaine : dans quelle mesure l’espoir a-t-il influencé l’apparition d’actes de violence ? Dans quelle mesure les actes de violence ont-ils à leur tour engendré l’espoir ? L’action des paysans qui se sont révoltés contre leurs autorités, armés de leurs fourches, n’était-elle pas déterminée par l’espoir de liberté ? Un prince qui faisait exécuter publiquement son adversaire politique espérait-il, par cet acte de violence, stabiliser son pouvoir ? Et enfin : les personnes impliquées dans une rixe n’espéraient-elles pas, par leur action violente, rétablir leur honneur ou atteindre un autre objectif précis ? Espéraient-ils, par une action violente à court terme, obtenir la paix à long terme ?

Espoirs de paix à l’époque moderne

« Verley uns frieden gnediglich / Herr Got zu unsern zeyten », c’est ainsi que Martin Luther a germanisé une antienne grégorienne² au XVI^e siècle. Formulait-il ainsi un espoir de paix typique du début des temps modernes ? L’antienne articule une dépendance de l’existence humaine à l’égard de l’intervention divine (qui est encore explicitée par la suite : « Es ist doch ya keyn ander nicht, /der für uns künde streitten. / Denn du unser Godt allaine »³). La paix est vue comme un état souhaitable et atteignable dans le présent – l’action humaine active consiste ici uniquement à parler à Dieu.

La recherche historique sur la paix à l’époque moderne se concentre sur des sources très différentes, dans lesquelles sont par exemple analysées les actions diplomatiques, politiques, voire militaires, et les pratiques visant à instaurer la paix, y compris d’un point de vue religieux et confessionnel. L’espoir peut toutefois être considéré comme un élément permettant de mieux comprendre les modes d’action des différents acteurs et actrices. On peut ainsi se demander quelles dépendances sont consciemment articulées, si un espoir est lié à des personnes et des événements spécifiques, et dans quelle mesure « l’espoir et la violence » sont également étroitement liés aux espoirs de paix. Quel type d’actions peut être associé à des espoirs de paix spécifiques ? Ainsi, dans son célèbre poème « Friedenshoffnung bey noch schwebender Handlung zu Münster und Oßnabruck » (« Espoir de paix pendant l’action encore en suspens à Münster et Osnabrück »), Georg Philipp Harsdörffer associe des espoirs de paix réels à des références utopiques lorsqu’il dit « Der Kriegsmann wil ein Schäfer werden » (« Le soldat veut devenir berger »). Peut-on observer une différence entre cette dynamique et d’autres formes d’espoir ? Et en quoi cela pourrait-il également refléter une sécularisation des utopies religieuses de paix au début de l’époque moderne ? En effet, la paix est un thème constamment présent au cours de cette période, marquée par les guerres, et la paix ne peut guère être vue comme un état habituel. C’est aussi pour cette raison que les espoirs de paix déçus peuvent engendrer des formes d’action tout à fait particulières, tout comme il faut se demander si les espoirs d’une paix durable se concrétisent réellement dans les négociations de paix – et si oui, dans quelles conditions politiques. Dans cette troisième petite série de billets, différentes perspectives sur le lien entre la paix et les espoirs doivent contribuer à initier un dialogue interdisciplinaire sur les temporalités et la réflexion sur les espoirs de paix qui s’articulent dans diverses sources.

Pendant l’année 2022-2023, nous publierons de nouveaux articles en alternance sur ces trois thèmes, en milieu de mois. Nous inviterons également des spécialistes d’Allemagne et de France à nous rejoindre dans ce voyage à la découverte des multiples visages de l’espoir au début de l’époque moderne. Nous sommes impatients de découvrir de nouvelles choses et nous nous réjouissons de lire vos réactions !

Christine Zabel, Sabrina Rospert et Albert Schirrmeister.

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1. Voir notamment l’ouvrage fondateur de Hirschman sur le sujet : Albert O. Hirschman, The Passions and the Interest. Political Arguments for Capitalism Before Its Triumph (Princeton : Princeton University Press, 2013). [↩]
2. En Français: Donnez la paix, Seigneur, en nos jours : Basile-Joseph Abbal, Le paroissien romain : latin-français, à l’usage du diocèse de Rodez, 2e édition 1848, p. 81. [↩]
3. parce qu’il n’est personne qui combatte pour nous, si ce n’est vous, notre Dieu : Ibid. [↩]

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